07/06/2025
Chers amies et amis,
Aujourd’hui, en 2025, les viticulteurs sont encore plus inquiets qu’il y a cinq ans. Les effets du réchauffement climatique se caractérisent de plus en plus au niveau de la qualité des vins, de la vigueur des ceps, de la résistance à la sécheresse.
La grande question qui hante les producteurs de fruits issus de plantes pérennes comme la vigne, le pêcher, le pommier, le poirier, mais également les lavandiculteurs, est l’adaptabilité de leur cheptel arborescent ou arbustif aux contraintes du réchauffement climatique.
L’élévation des températures moyennes ou les caprices météorologiques qui alternent sécheresse et pluie diluvienne entrainent des dégâts souvent irréversibles sur les fruits ou les plantes et la législation sur l’irrigation des vignes perturbe encore davantage la réponse que veulent donner les viticulteurs dans la conduite de leurs vignes.
Il en résulte des pertes importantes de productivité ou de qualité quand, surcroît de malchance, une maladie du genre mildiou ou botrytis ravage en dernière minute la totalité de la récolte par une pluie anormale à ce stade de maturité des fruits.
Pour la vigne, en plus de la disparition des pieds liée à la Flavescence dorée, l’Esca ou les virus de l’enroulement et du court-noué, l’augmentation de la température moyenne des zones de production vient assombrir l’avenir de toute la profession. Et quand le cour du marché s’en mêle, qui met le vin de table à des prix trop faibles, c’est la faillite de milliers de petits producteurs qui perturbe les zones de production malgré les plans d’urgence lancés par l’interprofession et le ministère de l’agriculture.
Certes, la réflexion menée depuis une dizaine d’année sur les moyens d’adaptation au changement climatique que nous constatons tous donne des résultats inattendus. Si les vignes les plus méridionales souffrent de la hausse d’un degré Celsius de la température moyenne, par des taux de sucres plus élevés, qui entraine un travail en chai différent pour réduire le taux d’alcool, les vignes plus au nord voient les conditions de maturation du raisin s’améliorer et les vins qui en sont issus gagner en qualité (Val de Loire, Bretagne, Bassin parisien, Région Nord, Angleterre, etc…) !
Ce constat amène les professionnels de la viticulture à changer de mentalité. La question ne tourne plus autour de la perte des vignobles, leurs déplacement plus au Nord mais sur la manière de continuer à faire les mêmes vins dans des conditions climatiques moins favorables.
Tout l’enjeu des années à venir est de savoir si on va réussir à faire des vins avec les mêmes caractéristiques - auxquelles tout le monde est habitué et qui sont la marque des terroirs - en évitant de changer les cépages ou la localisation des vignobles. Comment lutter contre la chaleur excessive, une amplitude thermique trop grande, des pluies trop copieuses ou trop rares à un stade phénologique donné, la sécheresse, etc…, qui perturbent le bon déroulement végétatif, la mise à fleurs, la nouaison, le grossissement des fruits, etc… ?
Si l’ensemble des maladies peuvent être atténuées, voire combattues par la remise des vignes dans un contexte écologique et agronomique au plus proche des réalités naturelles, par la présence d’herbe dans les interrangs, de haies en périphérie et d’arbres au milieu des vignes, il n’y a aucun doute à ce que ces nouveaux paramètres de vie microbienne et d’écosystèmes foisonnants de vie animale et d’insectes, avec l’ombrage des arbres de hautes futaies, ne soient pas favorable à une adaptation naturelle des vignobles à la hausse des températures.
En reconstituant les strates arborées des forêts naturelles, en combattant la monoculture sur des milliers d’hectares sans aucune silhouette arborescente, les agriculteurs cultivant des plantes pérennes sur rangs modifieront l’environnement de leurs cultures. Les milliers de personnes se ruant sur les plages sous un soleil à plus de 50°C emportent toutes un parasol pour se créer un écosystème favorable à leur vie sur le sable. Ces millions de personnes sous le soleil écrasant sont comme les milliers de ceps au cœur des vignobles. Elles sont comme les milliers de légumes aux fragiles feuilles herbacées dans les champs des maraîchers. Ces derniers sentent très bien l’impératif besoin d’ombrières mais la taille de leurs champs dépasse leurs capacités financières à en installer. L’installation d’ombrières photovoltaïques sur des dizaines d’ha est maintenant une réalité.
Pourtant il en existe de simple et des naturelles : les arbres. Les anciens l’avaient bien compris et ils avaient tous mélanger les cultures arborescentes avec les plantes plus basses pour deux bonnes raisons : 1- pour protéger les cultures basses du soleil (même sans canicules) car le rapport chaleur, intensité lumineuse, arrosage joue énormément sur le bon déroulé des cycles physiologiques et 2- pour s’assurer des revenus complémentaires en cas d’accidents culturaux ou climatiques sur l’une des deux cultures.
La culture sous arbres, aujourd’hui perfectionnée et appelée agroforesterie, a des relents d’ingéniosité paysanne pour lutter contre les impôts multiples des seigneurs, des rois et de l’Eglise. « On n’impose pas deux fois une parcelle ». Le blé d’accord mais pas les arbres qui poussent au-dessus ! Ainsi était née, il y a des siècles, l’association arbres fruitiers/grandes cultures qui n’a finalement pas survécu à la fin des impôts seigneuriaux. Les esprits n’étaient pas préoccupés par l’agronomie en ces temps lointains.
De nos jours, tous les paysans ont observé une végétation plus abondante sous l’ombrage des arbres que sur le reste de sa parcelle en plein soleil, une meilleure productivité des tomates à l’ombre de grandes futaies qui paramètrent de manière naturelle le meilleur rapport lumière-eau-température pour une répartition adéquate de la sève entre les feuilles et les fruits.
L’arbre est de plus « le fossoyeur des pluies » qu’il entraine en profondeur pour des remontées capillaires ultérieures. Il prospecte le sous-sol avec la puissance de son enracinement pour prélever les minéraux du terroir et les remonter en surface. La chute de ses feuilles et la taille puis le broyage de ses rameaux dont les débris sont laissés sur la surface du sol sont les meilleurs apports de matières carbonées possibles pour entretenir la vie microbienne des parcelles.
Les monocultures viticoles ou lavandicoles sont des hérésies que les cultivateurs ont créées pour leur plus grand malheur: vents, insectes, pluies, grêles, soleil, rien ne peut stopper les effets des éléments naturels dans leurs capacités à agresser la végétation au ras du sol.
Il faut maintenant redresser la barre et prendre les mesures agroécologiques qui s’imposent : recréer le contexte écosystémique mis au point par des siècles de pratiques et détruit en quelques années dans la deuxième moitié du XXème siècle pour faciliter la mécanisation des cultures.
Il faut remettre du naturel dans l’artificiel des plantations en lignes. Remettre de la fraîcheur dans les champs comme autrefois les vaches dans les lisières des forêts pour que les rendements en lait soient au maximum.
Les producteurs de vins français les plus renommés y réfléchissent. En Bourgogne ou dans le Bordelais, les ‘grands crus’ ont entamés leurs mutations vers une mise en écosystème arborés de leurs vignobles, parfois complété par l’introduction d’animaux (moutons, cochons, poulardes) au cœur de leurs rangs de ceps les plus précieux du monde. Pourquoi cette remise en cause spectaculaire ? Parce que leurs responsables ont la contrainte économique impérieuse de perpétuer la qualité de leurs fonds de commerces : les grands crus classés.
L’économie, dans les vignobles, en vient maintenant, dans la foulée des exploitations agricoles en grandes cultures, à pousser leurs dirigeants à s’interroger sur leurs systèmes culturaux et à les encourager à un retour vers des techniques « naturelles » pour maintenir leurs chiffres d’affaires sur le long terme. L’économie et l’agriculture sont deux moteurs très puissants pour transformer les esprits obtus et les ramener à plus de raison. Ces maisons à renommées de niveau mondial serviront de fer de lance et inspireront les plus petits à se lancer dans une révolution agroécologique propice à l’adaptabilité des vignobles au réchauffement climatique. Remettre de l’ombre, des mouvements d’airs, des protections contre les vents, des plantes compagnes abritant les oiseaux et les insectes, des matières organiques sur les sols, etc., mettra les ceps de vigne dans des conditions propices à puiser dans leurs mémoires génétiques les moyens d’une adaptabilité au changement climatique, pour perpétuer leur croissance selon les caractéristiques territoriales des parcelles où elles plongent leurs racines.
Personne ne peut l’affirmer, mais remettre les ceps dans un contexte agrosystémique complexe est le moyen le plus « naturel » de donner sa chance aux plantations pérennes sur rangs de retrouver des conditions de croissance sereine. Sérénité cruelle car la vie biologique au cœur des parcelles est faite de guerres biologiques et de cruauté entre espèces, mais il en résulte dans les sols un équilibre que les plantes savent gérer et au niveau de la phyllosphère un environnement moins agressif.
Voici pour le regard agroécologique. Plus prosaïquement, le projet INRAE LACCAVE dont les résultats ont été présentés en août 2021 propose sept domaines d’action qui constituent l’armature de la feuille de route de la filière face au changement climatique.
Deux domaines seulement concernent la conduite des cultures et l’évolution du matériel végétal (porte-greffe et variétés). Une troisième action s’intéresse aux pratiques œnologiques pour faire baisser les taux de sucre et d’alcool.
Le changement climatique a pour effet d’obtenir des moûts plus riches en sucre et des vins plus alcoolisés. Les pratiques œnologiques peuvent permettre de corriger ces effets, sans remettre en cause la définition du vin selon le règlement UE n° 1308/2013, en agissant sur la sélection de micro-organismes adaptés, le désucrage des moûts, la diminution de la teneur en alcool et l’acidification des vins.
Compte tenu de l’attachement des viticulteurs à leurs domaines, histoires familiales, patrimoines et traditions, les actions permettant de maintenir les vignes en lieux et places actuelles seront sûrement privilégiées. En essayant surtout de garder les caractéristiques œnologiques des vins produits pour ne pas déstabiliser la clientèle surtout quand elle est internationale.
Le vrai défi des viticulteurs est là, dans la continuité. Ne rien changer tout en changeant tout. S’adapter en permanence. Seul le temps qui passe sera juge de la pertinence de l’orientation prise et des efforts fournis. Mais la génération actuellement aux commandes aura tout fait pour re-naturaliser les vignobles et les inscrire dans la durée. Quant au réchauffement climatique, quelle voie va-t-il réellement prendre ? Là également, seul le temps nous le dira…
Christian Carnavalet